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Tiré des bulletins paroissiaux de Caden - 23 et 30 mai 1905 LES CRAPADOS Entre les villages de Coéqui, les Landes et Craslon, se trouve une vallée très boisée, et dans cette vallée, une fontaine bien connu sous le nom de fontaine des Crapados. Cette fontaine, située sous les grands arbres de la "Queue du Chien", dans un endroit absolument solitaire, vous pouvez aller la voir à midi : il n'y a guère de danger. A minuit, ce serait une autre affaire... Le défunt Joseph Bédard, taupier de grand renom, eut bien voulu, parfois, passer en ce lieu désert pour abréger son chemin : il s'en donnait bien garde ! Une seule fois il s'y hasarda, et ce n'était point à une heure indue pour un chrétien : le soleil était couché à peine depuis quelques quarts d'heure. Pour quiconque a connu Joseph Bédard, ce n'était pas un poltron ! Ce n'était pas non plus par une année de cire : les gelées, au commencement de mai avaient brûlé les trois quarts des boutons des pommes, l'année précédente :les mirottes et les chairpelouse avaient mangé le reste... N'empêche que Joseph Bédard fut poursuivi, en passant à la "Queue du Chien", par un cliquetis de chaînes, jusque dans la bande de Saint Armel, en qu'en arrivant à la chapelle, ses cheveux n'étaient point encore rassis sur la tête. C'était direz-vous, le carillon de ses pièges à taupes qui se balançaient au bout de sa tranche. Non, mille fois non... Joseph Bédard connaissait trop bien ce carillon-là; il promenait ses pièges depuis tant d'années !... ; non, il n'y avait pas d'erreur possible : c'était une cliquetis de chaînes traînées à terre.
On raconte aussi, je vous parle d'il y a 60 ans, que Julien Cresté du Crenet, allant à Questembert chercher le médecin pour son père malade, passa à la fontaine des Crapados, quelques heures après minuit. Il ne songeait point à avoir peur. Tout à coup, il se sentit un poids fort lourd sur le dos. Écrasé sous une charge invisible, il marcha quand même et gagna les bandes de Craslon. Ce ne fut qu'en haut de la cote qu'il fut délivré de son fardeau... La frayeur l'avait tellement transi, qu'il tomba malade à la suite de cette aventure, languit quelques temps et mourut au bout de quelques mois.
Tel autre, en plein jour, cette fois, ayant voulu prendre une poignée de feuilles sans trop regarder où il portait le bras, saisit, ô horreur, une main humaine coupée au poignet. Pour tout l'or du monde vous ne l'eussiez point décidé, plus tard à retourner à la "Queue du Chien"...
Contes de bonne femme que tout cela, me direz vous. D'accord. Mais vous qui êtes si brave, allez-y donc, à la fontaine des Crapados, seul et à minuit, et je garantis que si vous y portez le mal de dents vous ne l'en rapportez point... Il est donc ensorcelé, ce coin de pays ? Écoutez : voici que que racontent les anciens :
Il yavait autrefois, à la "Queue du Chien" des hommes de toute petite taille, un pied de haut, mais fort intelligents et très malicieux. De maison, il n'en avaient point : ils habitaient dans des souterrains et y entassaient des richesses. Serviables, ils l'étaient, mais quand ul rendaient un bon office, il y avait toujours lieu de se défier de leurs ruses. Les Crapados, c'était le nom de ces petits bonhommes, possédaient des bœufs magnifiques, et les paysans des alentours n'essuyaient jamais de refus s'ils allaient demander un attelage pour défricher un champ. Seulement, pour l'obtenir, il fallait savoir comment s'y prendre. Demander une paire de bœufs pour la journée été été perdre son temps. Il fallait absolument détailler tout le travail qu'on voulait faire, et aussi mentionner dans la demande tous les membres du corps des bœufs. Le paysan disait : "Voulez-vous me prêter deux bœufs, avec quatre cornes, quatre yeux, quatre oreilles, deux têtes, deux ventres, huit pattes et deux queues, pour faire soixante sillons dans un champ de quatre-vingts pas de long ?" Sans hésiter, on lui répondait : "Oui". Il pouvait arriver qu'en évaluant le travail à faire vous vous soyez trompé. Les bœufs se chargeaient de vous le faire savoir : au bout du soixantième sillon ils se dételaient d'eux-mêmes et s'en allaient, vous plantant là entre les deux "briâs" de votre charrue.
Un laboureur de Bodeligan avait une petite fille au berceau. Le père et la mère étant partis pour les champs, l'enfant reposait seul dans son "bert". Profitant de l'absence des parents, une maman Crapados s'en fut chez eux, prit l'enfant, l'emporta et laissa dans le berceau, à la place de celle qu'elle enlevait, sa propre petite fille à elle-même. Les bons paysans ne s'aperçurent point de l'échange. Ils berçaient la petite fille, qui du reste était bien sage. Ils la bercèrent un an, deux ans, trois ans... Et berces-tu bien : la petite fille ne grandissait pas d'un pouce ! A la fin des fins, un soupçon prit naissance dans l'esprit des parents. "Bien sûr, disent-ils, c'est une petite fille des Crapados que nous avons là". La paysanne ne peut rester longtemps dans cette inquiétude : elle reporta la petite chez les Crapados en leur disant : "Rendez-moi ma fille, je vous rapporte la vôtre". Et sa fille lui fut rendu aussitôt.
Au pont Martin, près de Sur le Crénet, ceux qui voyageaient le soir étaient tout étonnés de se voir accompagné par un chien noir qu'on appelait le "lévrier de Boderva". Une nuit, "Popo" qui s'était attardé dans le bourg, occupé qu'il était à hacher (sauf votre respect) un cochon, Popo s'en retournait accompagné de sa chienne nommée Coquette. Au Pont Martin, Coquette se jette entre les jambes de son maître et malgré les coups n'en veut point s'écarter : le lévrier de Boderva passait ; Popo ne le vit point mais, il l'entendit distinctement à coté de lui. Arrivé au Commun, Popo réussit à faire sa chienne marcher devant.
Le même Popo chassant un soir le lièvre (car il allait aux collets dans son jeune temps, le brave homme), il était en compagne de son oncle, du coté de la Pierre , en Béganne. L'heure arrive de s'en retourner. Mais à aucun prix, l'oncle ne voulut passer au Pont Neuf. où une lavandière fantôme lavait et frappait du battoir à longueur de nuit : ce soir-là, précisément, on l'entendait de la Pierre : l'homme coupa donc à travers les prés, par la Grée Pelée. "Popo", plus courageux dit : "C'est ma route, je passerai là". Et il y passa. A son arrivée au ruisseau, la lavandière cessa de battre son linge et se mit à le rouler sur le lavoir... Mais à peine Popo était-il passé que le battoir entra en jeu, et pendant que l'homme se hâtait de monter la cote de la Touche, c'était un fracas d'enfer. Qu'était cette Lavandière nocturne ? Allez-y voir... Peut être quelque malheureuse qui expiait là son Purgatoire : elle doit en tout cas avoir fini sa pénitence, car depuis longtemps en ne la voit plus.
En outre de la maisonnée de Crapados qui existait à la "Queue du chien", existait un autre ménage à Bléhéban ; mais ces derniers ont laissé peu de souvenirs. Pelot de la Ville Abio raconte toutefois que tous les soirs, dans la "cruyère" du champ de F.... sous un grand "berizier", on voyait distinctement un mouton blanc. Dans le même temps, il arrivait que, pendant qu'ils levaient le soir leurs bonhommes de blé noir, les fermiers et journaliers de Bléhéban apercevaient parfois une grande femme blanche qui passait près d'eux sans dire une seule parole. Qui donc, du reste, eut été assez hardi pour l'interroger ?
Raconté par le père Duchesne de "Chez Michaud de Coequi". |
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