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  Abbé Grégoire Orain

 


NOCES SOUS LA RÉVOLUTION

(à l'époque de l'Abbé ORAIN)

Texte intégral du spectacle 1985 donné sur le terrain des Renaudières,
aux abords de l'étang du Château du Dréneuc

(Recherches et rédaction de Madame DE BARMON d'après le livre de Alcime Bachelier)

Spectacle organisé par l'AFCL (Association Fégréacaise - Culture et Loisirs)

Fégréac, 17 mars 1756... Les deux cloches de l'église paroissiale réveillent le bourg de leur joyeux carillon et sonnent à toute volée la joie de l'église d'accueillir un de ses fils...

On y célèbre en effet, le baptême d'un enfant du pays, Grégoire, né la veille au village de la Bocquelais, au foyer de Jacques et de Julienne Orain, mariés voici déjà dix ans dans cette même église.

Voisins depuis l'enfance, tous deux de la frairie[1] Saint Michel, séparés seulement par les bois du Dréneuc, Jacques est depuis toujours au village de la Bocquelais, tandis que Julienne Mesnager, sa femme, a vu le jour au village de Trenneban.

Les enfants arrivent..., Un presque tous les ans, mais la mort qui fauche bien des enfants en bas âge, n'oublie pas les enfants Orain : Marie, Perrine, Marie-Anne, puis Pierre. Le bonheur n'en est que plus grand en ce jour du baptême de Grégoire, septième enfant de cette généreuse famille qui devaient en compter 12.

Propriétaires de leur terre et de la maison qu'ils habitent, les époux Orain mènent une vie paisible, vie de travail dans les champs et les landes, quelques vaches dans l'étable. Julienne avait un peu de bien que Jacques en gestionnaire avisé, fort de l'instruction reçue à l'école de sa frairie a su faire prospérer. Ce n'est pas la richesse mais encore moins la misère. Sous le toit de "ros et de bours" chacun mange à sa faim.

La France vit une période de calme et de prospérité. Après les longues années de Guerre de Louis XIV, règne une paix durable..., du moins à l'intérieur de nos frontières. On dit même que la France s'ennuie... Quelques philosophes, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Voltaire, se passionnent pour une nouveauté dont on parle beaucoup dans les salons "La connaissance scientifique" et lancent des idées nouvelles de liberté et d'égalité...

Mais point de philosophie au foyer de Jacques Orain. On vit de son travail sans vente ni emprunt. C'est dans le bonheur simple et paisible que grandissent les enfants Orain.

A quelques lieues de là vit la tante de Grégoire, Marie Mesnager, qui tient le ménage de son frère Joseph, recteur de Bouée près de Savenay. Il lui vient un jour une idée qu'elle expose aussitôt à son frère Curé :

"Mon frère, vous avez besoin d'un répondant de messe, ma marraine de Fégréac a beaucoup d'enfants, vous la soulageriez si vous en faisiez venir un ici".

"Ma sœur, répond le prêtre, vous avez raison, je vais en aviser les parents."

Cette proposition ne manque pas de les surprendre mais ils ne la rejettent pas. En cette année 1762, six enfants sont déjà au foyer, d'autres peuvent encore venir. Bien sûr, ce sera une séparation, le cœur se serrera, mais à Bouée, ce sera encore la vie de famille...

On accepte donc. Reste à choisir l'enfant... Des cinq garçons qui peuplent la maison, et dont les regards vont curieux et inquiets du Recteur aux parents, trois seulement sont capables de supporter la séparation : Paul, Jean et Grégoire. On fait approcher les trois enfants, le Recteur s'assoit et leur fait subir un petit examen afin de s'assurer de leurs dispositions et de leurs capacités. Grégoire, lui, semble doué d'une bonne santé et d'un harmonieux ensemble de qualités. Le voici donc choisi. Ainsi, on laissera à la maison, Paul et Jean, qui rendent déjà quelques services.

Quelques semaines plus tard, Grégoire quitte la Bocquelais. Les adieux de la mère sont tendres et mélancoliques. Ceux du père, assortis de conseils et de recommandations... Grégoire entrevoit tout ce qu'il quitte avec la chaude atmosphère du foyer... Le troupeau qu'il garde parfois au pré de la fontaine, les moissons où l'on se roulait avec les frères dans la paille jusqu'à en avoir plein les cheveux, le ruisseau où l'on patauge en cherchant les grenouilles et les rondes pleines de fous rires et de gaieté dansées autour du vieux puits...

Son cœur est plein de tout cela... Mais il part vers le pays inconnu...

Trois mois plus tard, il quitte Bouée pour Malville, où son oncle vient d'être nommé Recteur. A l'enseignement du calcul et de la grammaire, l'abbé ajoute celui du latin. Peu à peu s'ancre en Grégoire le désir d'être prêtre...

A cet effet son oncle le confie aux pères de l'Oratoire de Nantes où il peut terminer ses études... Puis enfin, le 23 décembre 1780, Grégoire Orain devient prêtre...

Bientôt lui parvient sa nomination de vicaire de Paimboeuf. Il n'y reste que deux années, puis il est nommé vicaire sacriste de Fégréac. Le bonheur de Grégoire Orain n'a d'égal que celui de ses nouveaux paroissiens.

Mais rapidement, il faut se mettre au travail :l'église est en ruines, le clocher menace de tomber, retables, colonnes et gradins suent la malpropreté. Laissant son Curé à Barisset, il va s'installer dans le bourg à la maison de l'hospice pour la commodité de ses paroissiens. Il est aussi catéchiste, maître d'école. Il organise des missions, se dépense sans compter au service des paroissiens de Fégréac.

La vie en effet, est calme et paisible dans ce coin de Bretagne... Et pourtant... Un des derniers dimanches de 1788, Monsieur le Recteur a lu en chaire un avis de Louis XVI convoquant les Etats Généraux à Versailles pour y procéder aux réformes utiles.

Puis un dimanche de mars, les hommes de Fégréac sont invités à se réunir au bourg pour y choisir 3 électeurs chargés de désigner les députés aux États et pour y rédiger le cahier de doléances paroissiales[2]. Le roi passe pour aimer son peuple, il veut être éclairé, son peuple lui dira ce qu'il attend de lui...

C'est ainsi qu'au matin du 2 avril 1789, les 300 électeurs de Fégréac venus de tous les points de la paroisse : des bords du marais, du fond des bois, des régions des landes, par les chemins d'ajoncs, prennent place dans la chapelle de la Madeleine. Leurs rudes et saines figures ne reflètent ni la misère, ni le goût de l'émeute. Mais puisque l'occasion se présente de se faire entendre et que le roi le demande, ils vont inscrire dans les cahiers du Tiers État les trois vœux qui leur tiennent particulièrement à cœur : la réforme de l'impôt, la libération de la terre, et la suppression de la milice.

Paris est loin, à 6 jours de voyage à cheval. Aussi, les nouvelles arrivent-elles tardivement à Fégréac. Elles circulent tout de même et on apprend bientôt que la noblesse et le Haut Clergé ont renoncé à leurs privilèges, que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen a été votée à Versailles.

Tout le monde applaudit à ces changements apportés par la constituante.

Arrivent également quelques échos des agitations qui à Paris, à Nantes et à Rennes, marquent l'avènement d'un monde nouveau dont on espère beaucoup. La prise de la Bastille en est le premier jalon...

cependant une inquiétude se fait jour : l'Assemblée décide de mettre à la disposition de la nation, les biens du Clergé qui font pourtant vivre hôpitaux et collèges. Quelques mois plus tard l'Assemblée vote la Constitution civile du Clergé qui prétend organiser l'église de France par diverses mesures dont une est particulièrement inacceptable : les évêques et curés ne doivent plus être nommés par Rome pais élus par les citoyens comme les députés. Cela revient à couper l'Église, de Rome et du pape.

Le roi après l'avoir accepté, refuse ce projet qui entre temps a pris force de loi, le Page est tenu à se prononcer. Les évêques espèrent que tout s'arrangera avec le temps... Mais Grégoire Orain, lui, n'hésite pas, il refuse d'obéir, reste fidèle à l'Église de Rome et ne prêtera pas le serment qui lui est demandé. Il risque ainsi la déportation, la poursuite et la mort...

Alors commence pour lui une vie d'errance, d'audace tranquille et d'humble courage.

En ce début de 1791, les paroissiens de Fégréac sont troublés : que doit-on penser ? Grégoire Orain est d'avis d'expliquer en chaire à tous les Paroissiens, la conduite à tenir... L'abbé Renaud n'est pas d'accord...

Quelques jours plus tard, le Recteur ne peut célébrer la messe du dimanche. C'est Grégoire Orain qui doit assurer le prône à sa place. Il en profite pour dire les critiques que lui dicte sa conscience. Pendant plus de cinq quarts d'heure, ses paroissiens l'écoutent avec la plus grande attention.

Le Recteur Renaud furieux ne ménagea pas les reproches à son courageux vicaire. "Cela ne parut pas les ennuyer répond naïvement l'Abbé Orain". Les confrères du voisinage ne cachent pas non plus leurs critiques... "Quelle imprudence, quelle témérité, quel fol orgueil...".

La crainte s'empare alors de tous, les têtes s'échauffent, si bien qu'à la tombée de la nuit, le bruit court que l'Abbé imprudent est recherché et va être arrêté. Il quitte donc sa maison et se cache. C'est sa première alerte... Une fausse alerte, premier signe avant coureur d'une réalité : " contre les insoumis, on va user de la force".

Chaque district a désormais une troupe armée, les gardes nationaux, gendarmes ou dragons destinés à l'exécution des lois et à la chasse aux suspects. Blain, Guenrouët et Plessé sont leurs centres de cantonnement.

Devant la menace que présentent ces "Bleus", Monsieur Orain mène une vie de nomade, assurant son ministère à l'église ou dans les villages mais passant ses nuits hors de chez lui parfois même à la belle étoile.

Ce soir-là, peu avant la nuit, notre vicaire se dirige vers l'église: "Demain, on fête la Saint-Jean. Peut-être quelques pénitents m'attendent-ils au confessionnal ?". Arrivé à la porte de l'église, il s'arrête, éprouvant une appréhension à y entrer. Il recule et aperçoit deux hommes habillés en paysans qui le regardent au bord du grand chemin. De l'autre côté, un des ses paroissiens, Gilles Chatelier, lui fait de grands signes :

"Vous voilà pris, vous voilà pris". "Mais où" s'étonne Grégoire Orain. "Par derrière vous" lui glisse-t-il à mi-voix.

Il comprend enfin, retrousse sa soutane et détale à toutes jambes. "Monsieur l'Abbé, Monsieur l'Abbé, écoutez donc, je vous vous parler" lui crie un des paysans qui n'est autre que Burban, le commandant du détachement de Plessé.

Et l'abbé de courir, il tourne vivement à droite, voici une haie, hop elle est franchie, le champ de la vigne, un fossé... Le grand chemin. Le salut est en face vers le marais. Un tas de bûches sur le passage... le voilà sauté. Burban suit... "Un curé n'en saurait remonter à un soldat" mais le voilà qui roule sur les bûches et perd chapeau, chaussures et même couteau volé au presbytère.

Grégoire Orain court toujours, gagne la digue des Mottais qui le mène sur l'autre rive dans les bois de la Guénelais.

Le "Bleus", malgré sa chute n'a pas renoncé à sa proie. A la faveur des traces laissées sur l'herbe par le passage de l'abbé, il peut le suivre jusqu'au chemin de la Danoterie. Le tailleur Joseph David vient de sortir du lit et voit passer l'Abbé : "Je ne sais pas" dit-il à sa femme, "ce que nos prêtres ont à courir si fort ce matin, mais en voilà un autre qui court bien vite."

Alors, pris de peur, il saute de nouveau dans son lit et en tire les rideaux. Burban entre aussitôt, persuadé que c'est le vicaire qu'il a vu rentrer dans cette maison : "Où est-il ? Où est-il ? C'est lui que j'ai vu à cette porte !" "Hé, qui cherchez-vous ?" dit la femme... "Il est ici, je l'ai vu à cette porte".

Il cherche par tous les coins de la maison, tire les rideaux du lit et y trouve le malheureux tailleur tout tremblant :

"Ah, ah, le voilà pourtant... C'est toi que je cherche, viens ici, tu es un calotin". "Dame non", proteste l'épouse. "C'est mon mari, qu'est-ce que vous lui voulez ?". Mais Burban insiste : "Tu avais une soutane, tu l'as dépouillée, c'est toi qui t'encourais là-bas, viens avec moi". ""Laissez" crie de nouveau la femme. "C'est mon mari".

Et ce disant elle tire le "Bleus" et son mari vers la porte et c'est là seulement, à la lumière du jour, qu'il reconnaît son erreur. L'affaire est manquée. Burban arrive tout dépité au bourg où sa troupe croyant à la victoire de son chef, l'accueille au son du tambour.

La situation s'alourdit de jour en jour. En août 1792, une loi nouvelle ordonne à tout ecclésiastique qui n'a pas prêté serment de sortir du royaume dans un délai de 15 jours. Monsieur Renaud en confère aussitôt à son vicaire. Tous ceux sont bien résolus à ne pas laisser la paroisse sans prêtre.

"Il ne faut pas" dit l'abbé Orain, "s'exposer tous deux à un danger qui, dans les jours mauvais qui s'annoncent, pourrait être mortel. C'est à moi de rester. Je suis jeune, alerte, je connais le pays à fond et j'échapperai plus aisément que vous aux perquisitions. Si je viens à périr, vous reprendrez votre poste, une fois la paix rétablie, avec une autorité que l'exil n'aura fait qu'accroître."

Ces arguments ont raison des hésitations de Monsieur Renaud qui quitte la France avec 300 prêtres nantais. Voici Grégoire Orain seul, résolu à veiller sur Fégréac au milieu de la tourmente.

L'Assemblée législative disparaît peu après pour faire place à la Convention. Le roi est arrêté, emprisonné et exécuté le 21 janvier 1793. En ce coin de Bretagne où l'on semble ignorer ce qui se passe à Paris, c'est la stupéfaction. Et les nouvelles continuent de circuler : "Tout prêtre réfractaire sera puni de la peine de mort, et ceux qui leur viendraient en aide seraient soumis à de dures représailles."

Nul paroissien de Fégréac, l'abbé Orain se plaira à le proclamer, nul paroissien de Fégréac ne le trahira jamais. L'ardeur des patriotes à s'en saisir n'en sera que plus vive.

1793-1794 vont être pour l'abbé Orain des années d'alertes perpétuelles. Sa paroisse s'est augmentée de réfugiés venants de la forêt du Gavre. Les garnisons également ont vu affluer des troupes, un régiment entier, venu purger le pays.

Le danger est partout et oblige Grégoire Orain à agir avec prudence et circonspection. Souvent, il est obligé d'abandonner l'église. "La grange spacieuse du Presbytère de Barisset fera très bien l'affaire pour préparer les premiers communiants, les fêtes de Pâques se dérouleront à la Chapelle Saint-Armel. Le catéchisme a lieu de ci, de là au gré des circonstances. Aux enfants de Fégréac se joignent ceux des villages limitrophes de Plessé.

C'est une vie d'aventure et d'audace où l'on vit au jour le jour : les ornements sont cachés dans un souterrain au presbytère, une barque amarrée au bas du jardin est toujours parée en cas de surprise. Notre vicaire est partout auprès des enfants pour les instruire, au confessionnal où il passe de longues heures, au chevet des mourants qui le réclament.

Des hommes postés en sentinelles sont là prêts à l'avertir du danger. Ce n'est pas toujours facile... On se dit de bouche à oreille où aura lieu la messe du lendemain. Jamais au même endroit.

C'est à cette époque que Monsieur Orain connaît une grande peine dont il est très affecté : les cloches de Fégréac, les cloches de son baptême qui, jour après jour, rythment sa vie et celle de ses paroissiens, ces cloches qu'il avait prévu mettre en lieu sûr, disparaissent un jour qu'il est absent, appelé auprès d'un malade. Un détachement de "Bleus", venu de Redon, les fait descendre du clocher et les emmène.

"Clocher de mon village à jamais déserté,
tu ne sonneras plus l'appel à la prière.
Cloches de mon baptême, vous nous avez quittés,
Emportées par l'impie qui veut nous faire taire..."

Après la chute de Robespierre, la réaction thermidorienne apporte comme une éclaircie dans le ciel de France. Monsieur Orain à Fégréac bénéficie d'une sorte d'amnistie. Il peut revenir dans l'église paroissiale. Ce qu'il n'avait pas fait depuis quatre ans.

Cependant, au début de cette année 1796, la Chouannerie s'installe à Fégréac. Les trois frères Dumoutier, anciens soldats du Général De Charrette ont fait du Dréneuc un refuge hospitalier de vendéens et d'émigrés. Madame de la Rochejacquelein y est venue séjourner. C'est aussi un centre de contre-révolution sous la haute direction du général de Grisolles, commandant des troupes de chouans de la région redonnaise.

Ce mercredi des Cendres, les trois frères sont résolus à faire un coup de force sur les Mortiers, village de Saint Gildas des bois qui abrite des patriotes récemment condamnés à mort par un conseil Chouan. L'expédition a lieu, les cinq hommes sont exécutés et la colonne entre au Dréneuc à la pointe du jour, chargée de butin. Peu de temps après, un souper de gala doit réunir au Dréneuc une douzaine d'officiers dont le général de Sol de Grisolles. C'est le moment pour les républicains des Mortiers de se venger.

Au jour prévu, le samedi à la tombée de la nuit, le détachement républicain arrive sans bruit par la grande route à la Croix de la Vieille Ville. De là, à travers la lande, à l'insu des sentinelles chouannes attablées à l'auberge du Pont-Fourché, les "Bleus" se glissent jusqu'au Dréneuc qu'ils cernent de toutes parts. Il est dix heures et la nuit est bien noire. A l'intérieur, dans la grande salle, les invités devisent gaiement, toutes lampes allumées.

A ce moment l'aîné des Dumoutier se lève, salue la compagnie et part à la cuisine. De là il aperçoit les "Bleus" qui entrent dans la cour, il saisit aussitôt son sabre en appelant ses compagnons aux armes.

Madame Dumoutier barre la porte, éteint les lumières et supplie ses invités de s'enfuir. Dans les ténèbres, les hommes se dirigent à tâtons vers les ouvertures. Les "Bleus" sont partout...

La fenêtre donne sur la grande allée. Il n'est que de faire une trouée dans le groupe des "Bleus" qui en défendent l'accès. Le salut est là..." Fuyez", redit Madame Dumoutier. Constant, le plus jeune de ses fils s'élance le premier. "Qui m'aime me suive..." dit-il en tirant deux coups de pistolet. Le Général de Grisolle le suit avec ses huit ou dix compagnons qui tirent une décharge générale. Mais les "Bleus", tout en s'écartant, on eux aussi tiré. Constant tombe raide mort, le Général, légèrement blessé parvient à s'échapper.

Cependant, Joseph-Marie, l'aîné des Dumoutier, lutte héroïquement, seul contre dix, dans le corridor puis dans la cour où il a entraîné les soldats à sa suite. Mais accablé sous le nombre, couvert de blessures, il finit par succomber.

"Pendant tout ce vacarme", écrit Monsieur Orain, qui s'en tient durant toutes ces périodes troublées à son rôle de prêtre, sans se mêler jamais à aucune expédition politique, "pendant tout ce vacarme, j'étais à l'église à confesser. Entendant du bruit, je sortis sur le chemin des Bossettes pour aller écouter. Quelqu'un montait le chemin qui cria "Qui vive ?" Je lui répondis "Amis". C'était le Général de Sol qui m'apprit l'arrivée des "Bleus" au Dréneuc, puis s'en fut à la Préverie chez le Chirurgien qui lui banda sa plaie".

Bientôt des bruits de pas résonnèrent sur la route de Blain. Les "Bleus" regagnaient leur cantonnement. Quand le silence fut retombé sur la campagne, Monsieur Orain retourna à l'église pour y continuer ses confessions.

1797. Le coup d'État du 18 fructidor entraîne la reprise des persécutions contre l'église. Certains "Bleus" acceptent mal ces expéditions de représailles contre Grégoire Orain qui ne fait de mal à personne et se contente d'exercer sa mission de prêtre. N'a-t-il pas porté les derniers sacrements, au risque de sa vie à l'épouse du brigadier républicain de Redon ?

C'est ainsi qu'un soir où Grégoire Orain avait réuni à dîner six de ses confrères chez la veuve Motreuil, à Balac, un détachement de "Bleus" se présente à quelques pas de la maison. Les prêtres s'enfuirent du côté opposé. La mère Motreuil enlève précipitamment le couvert tandis que son gendre Méréal Dupé s'avance vers les soldats, sa tabatière à la main: "Où vas-tu ? " lui dit le commandant d'un ton de colère. "Je vais mettre hors de mon pré, les pourciaux qui l'abîment" répond l'homme froidement. L'officier prend alors Méréal à part : "Je sais ce qui se passe dans cette maison, une femme qui n'est pas d'ici, vous trahis pour dix écus, mais je ne vous ferai aucun mal..." Puis sur un ton de commandement : "Tu es mon prisonnier, suis moi..." Méréal obéit sous les regards consternés des siens qui pensent qu'on va le fusiller.

En fait, on le mène à l'auberge : on boit, on trinque, on se sépare et pendant ce temps, Monsieur Orain et ses confrères ont eu le temps de prendre le large.

Ces alertes perpétuelles obligent Monsieur Orain à célébrer dans les différentes chapelles de la paroisse. Elles sont bientôt toutes repérées et les "Bleus" tentent même de mettre le feu à la Chapelle Saint Armel. L'abbé décide alors de réunir par sécurité les enfants du catéchisme au village de Villeberte, de la frairie de Trouhel, dans une grange, qui peut à l'occasion, servir de chapelle. Mais ses paroissiens ne s'en contentent pas. "Nous voulons une vraie chapelle, Monsieur l'abbé. Nous sommes prêts à vous aider...

Ainsi fut fait : la famille Biguet fait don du terrain, la pierre est tirée au cours de l'hiver d'une carrière ouverte près de la Camelais, les travailleurs affluent, même des villages les plus éloignés. "Voulez-vous que nous n'ayons pas le droit comme les autres de venir prier dans cette chapelle ? " Pour éviter l'encombrement l'abbé Orain assigne à chaque village son jour de travail. La besogne avance rapidement et dès l'été 1798, les murs sont édifiés. Les paroissiens offrent de la paille, mais, quand la charpente placée, les couvreurs se présentent, ils ne trouvent que quelques paquets de bours à peine de quoi occuper la journée, ils vont s'en retourner...

C'est le jour du catéchisme, l'abbé se confie aux enfants "Parlez en donc à vos parents". Le lendemain et les jours suivants il en vient tant et tant que l'abbé se voit obligé de ralentir leur zèle. "Si la paille est inutile pour la chapelle, elle vous servira à vous". La Chapelle est bénite le 2 octobre 1798, jour de la fête des Saints Anges Gardiens à qui elle est dédiée.

"Depuis lors", rapporte Monsieur Orain, "j'y dis la messe presque tous les jours, j'y fais le catéchisme et je me retire dans ce village. Comme elle est couverte de paille, elle n'a pas l'aspect une chapelle et les "Bleus" n'y sont jamais venus.

1801. Le Concordat rétablit en France la paix religieuse voulue par Napoléon Bonaparte. Voici donc l'abbé Orain libre d'exercer publiquement son ministère à Fégréac sans la menace quotidienne d'être inquiété, poursuivi arrêté.

Voici également le retour de l'abbé Renaud rétabli dans ses fonctions de Recteur de Fégréac. Ce fut une grande joie pour les deux prêtres de se retrouver et c'est sans amertume et en toute humilité que Grégoire Orain redevint le vicaire sacriste qu'il était auparavant. Mais bientôt, il fut nommé par ses supérieurs Recteur de Derval.

Le danger avait tissé entre l'abbé et ses compatriotes, des liens de respect et d'affection réciproques. Nul ne sut jamais quelle fut la douleur de l'abbé Orain de devoir quitter son village, ses amis, sa famille, ses paroissiens.

Il avait fait vœu d'obéissance et dans l'église de Fégréac, il vient une dernière fois offrir ce sacrifice à Dieu avant de prendre la route de Derval.

Pas de Cloche pour accompagner les premiers pas de l'abbé Orain vers sa nouvelle paroisse. Seulement le bruit de la vie quotidienne à Fégréac... Pas de cloche, mais au fond du cœur, une autre musique, le psaume que le prophète semble avoir composé pour lui et qui sera sa prière tout au long de la route...

"J'incline mon cœur à faire ta volonté
Jusqu'à la fin, pour l'éternité..."

[1] Villages regroupés autour d'une chapelle de la Paroisse desservie par des religieux qui instruisaient les enfants.
[2]
Les cahiers de doléances de Fégréac sont consultables aux Archives Départementales de Loire Atlantique.


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