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NOCES
SOUS LA RÉVOLUTION Texte
intégral du spectacle 1985 donné sur le terrain des Renaudières, (Recherches
et rédaction de Madame DE BARMON d'après le livre de Alcime Bachelier) Spectacle organisé par l'AFCL (Association Fégréacaise - Culture et Loisirs) Fégréac,
17 mars 1756... Les deux cloches de l'église paroissiale réveillent le bourg
de leur joyeux carillon et sonnent à toute volée la joie de l'église
d'accueillir un de ses fils... On
y célèbre en effet, le baptême d'un enfant du pays, Grégoire, né la veille
au village de la Bocquelais, au foyer de Jacques et de Julienne Orain, mariés
voici déjà dix ans dans cette même église. Voisins
depuis l'enfance, tous deux de la frairie[1]
Saint Michel, séparés seulement par les bois du Dréneuc, Jacques est depuis
toujours au village de la Bocquelais, tandis que Julienne Mesnager, sa femme, a
vu le jour au village de Trenneban. Les
enfants arrivent..., Un presque tous les ans, mais la mort qui fauche bien des
enfants en bas âge, n'oublie pas les enfants Orain : Marie, Perrine,
Marie-Anne, puis Pierre. Le bonheur n'en est que plus grand en ce jour du
baptême de Grégoire, septième enfant de cette généreuse famille qui
devaient en compter 12. Propriétaires
de leur terre et de la maison qu'ils habitent, les époux Orain mènent une vie
paisible, vie de travail dans les champs et les landes, quelques vaches dans
l'étable. Julienne avait un peu de bien que Jacques en gestionnaire avisé,
fort de l'instruction reçue à l'école de sa frairie a su faire prospérer. Ce
n'est pas la richesse mais encore moins la misère. Sous le toit de "ros et
de bours" chacun mange à sa faim. La
France vit une période de calme et de prospérité. Après les longues années
de Guerre de Louis XIV, règne une paix durable..., du moins à l'intérieur de
nos frontières. On dit même que la France s'ennuie... Quelques philosophes,
Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Voltaire, se passionnent pour une nouveauté
dont on parle beaucoup dans les salons "La connaissance scientifique"
et lancent des idées nouvelles de liberté et d'égalité... Mais
point de philosophie au foyer de Jacques Orain. On vit de son travail sans vente
ni emprunt. C'est dans le bonheur simple et paisible que grandissent les enfants
Orain. A
quelques lieues de là vit la tante de Grégoire, Marie Mesnager, qui tient le
ménage de son frère Joseph, recteur de Bouée près de Savenay. Il lui vient
un jour une idée qu'elle expose aussitôt à son frère Curé : "Mon
frère, vous avez besoin d'un répondant de messe, ma marraine de Fégréac a
beaucoup d'enfants, vous la soulageriez si vous en faisiez venir un ici". "Ma
sœur, répond le prêtre, vous avez raison, je vais en aviser les
parents." Cette
proposition ne manque pas de les surprendre mais ils ne la rejettent pas. En
cette année 1762, six enfants sont déjà au foyer, d'autres peuvent encore
venir. Bien sûr, ce sera une séparation, le cœur se serrera, mais à Bouée,
ce sera encore la vie de famille... On
accepte donc. Reste à choisir l'enfant... Des cinq garçons qui peuplent la
maison, et dont les regards vont curieux et inquiets du Recteur aux parents,
trois seulement sont capables de supporter la séparation : Paul, Jean et
Grégoire. On fait approcher les trois enfants, le Recteur s'assoit et leur fait
subir un petit examen afin de s'assurer de leurs dispositions et de leurs
capacités. Grégoire, lui, semble doué d'une bonne santé et d'un harmonieux
ensemble de qualités. Le voici donc choisi. Ainsi, on laissera à la maison,
Paul et Jean, qui rendent déjà quelques services. Quelques
semaines plus tard, Grégoire quitte la Bocquelais. Les adieux de la mère sont
tendres et mélancoliques. Ceux du père, assortis de conseils et de
recommandations... Grégoire entrevoit tout ce qu'il quitte avec la chaude
atmosphère du foyer... Le troupeau qu'il garde parfois au pré de la fontaine,
les moissons où l'on se roulait avec les frères dans la paille jusqu'à en
avoir plein les cheveux, le ruisseau où l'on patauge en cherchant les
grenouilles et les rondes pleines de fous rires et de gaieté dansées autour du
vieux puits... Son
cœur est plein de tout cela... Mais il part vers le pays inconnu... Trois
mois plus tard, il quitte Bouée pour Malville, où son oncle vient d'être
nommé Recteur. A l'enseignement du calcul et de la grammaire, l'abbé ajoute
celui du latin. Peu à peu s'ancre en Grégoire le désir d'être prêtre... A
cet effet son oncle le confie aux pères de l'Oratoire de Nantes où il peut
terminer ses études... Puis enfin, le 23 décembre 1780, Grégoire Orain
devient prêtre... Bientôt
lui parvient sa nomination de vicaire de Paimboeuf. Il n'y reste que deux
années, puis il est nommé vicaire sacriste de Fégréac. Le bonheur de
Grégoire Orain n'a d'égal que celui de ses nouveaux paroissiens. Mais
rapidement, il faut se mettre au travail :l'église est en ruines, le clocher
menace de tomber, retables, colonnes et gradins suent la malpropreté. Laissant
son Curé à Barisset, il va s'installer dans le bourg à la maison de l'hospice
pour la commodité de ses paroissiens. Il est aussi catéchiste, maître
d'école. Il organise des missions, se dépense sans compter au service des
paroissiens de Fégréac. La
vie en effet, est calme et paisible dans ce coin de Bretagne... Et pourtant...
Un des derniers dimanches de 1788, Monsieur le Recteur a lu en chaire un avis de
Louis XVI convoquant les Etats Généraux à Versailles pour y procéder aux
réformes utiles. Puis
un dimanche de mars, les hommes de Fégréac sont invités à se réunir au
bourg pour y choisir 3 électeurs chargés de désigner les députés aux États
et pour y rédiger le cahier de doléances paroissiales[2].
Le roi passe pour aimer son peuple, il veut être éclairé, son peuple lui dira
ce qu'il attend de lui... C'est
ainsi qu'au matin du 2 avril 1789, les 300 électeurs de Fégréac venus de tous
les points de la paroisse : des bords du marais, du fond des bois, des régions
des landes, par les chemins d'ajoncs, prennent place dans la chapelle de la
Madeleine. Leurs rudes et saines figures ne reflètent ni la misère, ni le
goût de l'émeute. Mais puisque l'occasion se présente de se faire entendre et
que le roi le demande, ils vont inscrire dans les cahiers du Tiers État les
trois vœux qui leur tiennent particulièrement à cœur : la réforme de
l'impôt, la libération de la terre, et la suppression de la milice. Paris
est loin, à 6 jours de voyage à cheval. Aussi, les nouvelles arrivent-elles
tardivement à Fégréac. Elles circulent tout de même et on apprend bientôt
que la noblesse et le Haut Clergé ont renoncé à leurs privilèges, que la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen a été votée à Versailles. Tout
le monde applaudit à ces changements apportés par la constituante. Arrivent
également quelques échos des agitations qui à Paris, à Nantes et à Rennes,
marquent l'avènement d'un monde nouveau dont on espère beaucoup. La prise de
la Bastille en est le premier jalon... cependant
une inquiétude se fait jour : l'Assemblée décide de mettre à la disposition
de la nation, les biens du Clergé qui font pourtant vivre hôpitaux et
collèges. Quelques mois plus tard l'Assemblée vote la Constitution civile du
Clergé qui prétend organiser l'église de France par diverses mesures dont une
est particulièrement inacceptable : les évêques et curés ne doivent plus
être nommés par Rome pais élus par les citoyens comme les députés. Cela
revient à couper l'Église, de Rome et du pape. Le
roi après l'avoir accepté, refuse ce projet qui entre temps a pris force de
loi, le Page est tenu à se prononcer. Les évêques espèrent que tout
s'arrangera avec le temps... Mais Grégoire Orain, lui, n'hésite pas, il refuse
d'obéir, reste fidèle à l'Église de Rome et ne prêtera pas le serment qui
lui est demandé. Il risque ainsi la déportation, la poursuite et la mort... Alors
commence pour lui une vie d'errance, d'audace tranquille et d'humble courage. En
ce début de 1791, les paroissiens de Fégréac sont troublés : que doit-on
penser ? Grégoire Orain est d'avis d'expliquer en chaire à tous les
Paroissiens, la conduite à tenir... L'abbé Renaud n'est pas d'accord... Quelques
jours plus tard, le Recteur ne peut célébrer la messe du dimanche. C'est
Grégoire Orain qui doit assurer le prône à sa place. Il en profite pour dire
les critiques que lui dicte sa conscience. Pendant plus de cinq quarts d'heure,
ses paroissiens l'écoutent avec la plus grande attention. Le
Recteur Renaud furieux ne ménagea pas les reproches à son courageux vicaire.
"Cela ne parut pas les ennuyer répond naïvement l'Abbé Orain". Les
confrères du voisinage ne cachent pas non plus leurs critiques... "Quelle
imprudence, quelle témérité, quel fol orgueil...". La
crainte s'empare alors de tous, les têtes s'échauffent, si bien qu'à la
tombée de la nuit, le bruit court que l'Abbé imprudent est recherché et va
être arrêté. Il quitte donc sa maison et se cache. C'est sa première
alerte... Une fausse alerte, premier signe avant coureur d'une réalité :
" contre les insoumis, on va user de la force". Chaque
district a désormais une troupe armée, les gardes nationaux, gendarmes ou
dragons destinés à l'exécution des lois et à la chasse aux suspects. Blain,
Guenrouët et Plessé sont leurs centres de cantonnement. Devant
la menace que présentent ces "Bleus", Monsieur Orain mène une vie de
nomade, assurant son ministère à l'église ou dans les villages mais passant
ses nuits hors de chez lui parfois même à la belle étoile. Ce
soir-là, peu avant la nuit, notre vicaire se dirige vers l'église:
"Demain, on fête la Saint-Jean. Peut-être quelques pénitents
m'attendent-ils au confessionnal ?". Arrivé à la porte de l'église, il
s'arrête, éprouvant une appréhension à y entrer. Il recule et aperçoit deux
hommes habillés en paysans qui le regardent au bord du grand chemin. De l'autre
côté, un des ses paroissiens, Gilles Chatelier, lui fait de grands signes : "Vous
voilà pris, vous voilà pris". "Mais où" s'étonne Grégoire
Orain. "Par derrière vous" lui glisse-t-il à mi-voix. Il
comprend enfin, retrousse sa soutane et détale à toutes jambes. "Monsieur
l'Abbé, Monsieur l'Abbé, écoutez donc, je vous vous parler" lui crie un
des paysans qui n'est autre que Burban, le commandant du détachement de
Plessé. Et
l'abbé de courir, il tourne vivement à droite, voici une haie, hop elle est
franchie, le champ de la vigne, un fossé... Le grand chemin. Le salut est en
face vers le marais. Un tas de bûches sur le passage... le voilà sauté.
Burban suit... "Un curé n'en saurait remonter à un soldat" mais le
voilà qui roule sur les bûches et perd chapeau, chaussures et même couteau
volé au presbytère. Grégoire
Orain court toujours, gagne la digue des Mottais qui le mène sur l'autre rive
dans les bois de la Guénelais. Le
"Bleus", malgré sa chute n'a pas renoncé à sa proie. A la faveur
des traces laissées sur l'herbe par le passage de l'abbé, il peut le suivre
jusqu'au chemin de la Danoterie. Le tailleur Joseph David vient de sortir du lit
et voit passer l'Abbé : "Je ne sais pas" dit-il à sa femme, "ce
que nos prêtres ont à courir si fort ce matin, mais en voilà un autre qui
court bien vite." Alors,
pris de peur, il saute de nouveau dans son lit et en tire les rideaux. Burban
entre aussitôt, persuadé que c'est le vicaire qu'il a vu rentrer dans cette
maison : "Où est-il ? Où est-il ? C'est lui que j'ai vu à cette porte
!" "Hé, qui cherchez-vous ?" dit la femme... "Il est ici,
je l'ai vu à cette porte". Il
cherche par tous les coins de la maison, tire les rideaux du lit et y trouve le
malheureux tailleur tout tremblant : "Ah,
ah, le voilà pourtant... C'est toi que je cherche, viens ici, tu es un
calotin". "Dame non", proteste l'épouse. "C'est mon mari,
qu'est-ce que vous lui voulez ?". Mais Burban insiste : "Tu avais une
soutane, tu l'as dépouillée, c'est toi qui t'encourais là-bas, viens avec
moi". ""Laissez" crie de nouveau la femme. "C'est mon
mari". Et
ce disant elle tire le "Bleus" et son mari vers la porte et c'est là
seulement, à la lumière du jour, qu'il reconnaît son erreur. L'affaire est
manquée. Burban arrive tout dépité au bourg où sa troupe croyant à la
victoire de son chef, l'accueille au son du tambour. La
situation s'alourdit de jour en jour. En août 1792, une loi nouvelle ordonne à
tout ecclésiastique qui n'a pas prêté serment de sortir du royaume dans un
délai de 15 jours. Monsieur Renaud en confère aussitôt à son vicaire. Tous
ceux sont bien résolus à ne pas laisser la paroisse sans prêtre. "Il
ne faut pas" dit l'abbé Orain, "s'exposer tous deux à un danger qui,
dans les jours mauvais qui s'annoncent, pourrait être mortel. C'est à moi de
rester. Je suis jeune, alerte, je connais le pays à fond et j'échapperai plus
aisément que vous aux perquisitions. Si je viens à périr, vous reprendrez
votre poste, une fois la paix rétablie, avec une autorité que l'exil n'aura
fait qu'accroître." Ces
arguments ont raison des hésitations de Monsieur Renaud qui quitte la France
avec 300 prêtres nantais. Voici Grégoire Orain seul, résolu à veiller sur
Fégréac au milieu de la tourmente. L'Assemblée
législative disparaît peu après pour faire place à la Convention. Le roi est
arrêté, emprisonné et exécuté le 21 janvier 1793. En ce coin de Bretagne
où l'on semble ignorer ce qui se passe à Paris, c'est la stupéfaction. Et les
nouvelles continuent de circuler : "Tout prêtre réfractaire sera puni de
la peine de mort, et ceux qui leur viendraient en aide seraient soumis à de
dures représailles." Nul
paroissien de Fégréac, l'abbé Orain se plaira à le proclamer, nul paroissien
de Fégréac ne le trahira jamais. L'ardeur des patriotes à s'en saisir n'en
sera que plus vive. 1793-1794
vont être pour l'abbé Orain des années d'alertes perpétuelles. Sa paroisse
s'est augmentée de réfugiés venants de la forêt du Gavre. Les garnisons
également ont vu affluer des troupes, un régiment entier, venu purger le pays. Le
danger est partout et oblige Grégoire Orain à agir avec prudence et
circonspection. Souvent, il est obligé d'abandonner l'église. "La grange
spacieuse du Presbytère de Barisset fera très bien l'affaire pour préparer
les premiers communiants, les fêtes de Pâques se dérouleront à la Chapelle
Saint-Armel. Le catéchisme a lieu de ci, de là au gré des circonstances. Aux
enfants de Fégréac se joignent ceux des villages limitrophes de Plessé. C'est
une vie d'aventure et d'audace où l'on vit au jour le jour : les ornements sont
cachés dans un souterrain au presbytère, une barque amarrée au bas du jardin
est toujours parée en cas de surprise. Notre vicaire est partout auprès des
enfants pour les instruire, au confessionnal où il passe de longues heures, au
chevet des mourants qui le réclament. Des
hommes postés en sentinelles sont là prêts à l'avertir du danger. Ce n'est
pas toujours facile... On se dit de bouche à oreille où aura lieu la messe du
lendemain. Jamais au même endroit. C'est
à cette époque que Monsieur Orain connaît une grande peine dont il est très
affecté : les cloches de Fégréac, les cloches de son baptême qui, jour
après jour, rythment sa vie et celle de ses paroissiens, ces cloches qu'il
avait prévu mettre en lieu sûr, disparaissent un jour qu'il est absent,
appelé auprès d'un malade. Un détachement de "Bleus", venu de
Redon, les fait descendre du clocher et les emmène. "Clocher
de mon village à jamais déserté, Après
la chute de Robespierre, la réaction thermidorienne apporte comme une
éclaircie dans le ciel de France. Monsieur Orain à Fégréac bénéficie d'une
sorte d'amnistie. Il peut revenir dans l'église paroissiale. Ce qu'il n'avait
pas fait depuis quatre ans. Cependant,
au début de cette année 1796, la Chouannerie s'installe à Fégréac. Les
trois frères Dumoutier, anciens soldats du Général De Charrette ont fait du
Dréneuc un refuge hospitalier de vendéens et d'émigrés. Madame de la
Rochejacquelein y est venue séjourner. C'est aussi un centre de
contre-révolution sous la haute direction du général de Grisolles, commandant
des troupes de chouans de la région redonnaise. Ce
mercredi des Cendres, les trois frères sont résolus à faire un coup de force
sur les Mortiers, village de Saint Gildas des bois qui abrite des patriotes
récemment condamnés à mort par un conseil Chouan. L'expédition a lieu, les
cinq hommes sont exécutés et la colonne entre au Dréneuc à la pointe du
jour, chargée de butin. Peu de temps après, un souper de gala doit réunir au
Dréneuc une douzaine d'officiers dont le général de Sol de Grisolles. C'est
le moment pour les républicains des Mortiers de se venger. Au
jour prévu, le samedi à la tombée de la nuit, le détachement républicain
arrive sans bruit par la grande route à la Croix de la Vieille Ville. De là,
à travers la lande, à l'insu des sentinelles chouannes attablées à l'auberge
du Pont-Fourché, les "Bleus" se glissent jusqu'au Dréneuc qu'ils
cernent de toutes parts. Il est dix heures et la nuit est bien noire. A
l'intérieur, dans la grande salle, les invités devisent gaiement, toutes
lampes allumées. A
ce moment l'aîné des Dumoutier se lève, salue la compagnie et part à la
cuisine. De là il aperçoit les "Bleus" qui entrent dans la cour, il
saisit aussitôt son sabre en appelant ses compagnons aux armes. Madame
Dumoutier barre la porte, éteint les lumières et supplie ses invités de
s'enfuir. Dans les ténèbres, les hommes se dirigent à tâtons vers les
ouvertures. Les "Bleus" sont partout... La
fenêtre donne sur la grande allée. Il n'est que de faire une trouée dans le
groupe des "Bleus" qui en défendent l'accès. Le salut est
là..." Fuyez", redit Madame Dumoutier. Constant, le plus jeune de ses
fils s'élance le premier. "Qui m'aime me suive..." dit-il en tirant
deux coups de pistolet. Le Général de Grisolle le suit avec ses huit ou dix
compagnons qui tirent une décharge générale. Mais les "Bleus", tout
en s'écartant, on eux aussi tiré. Constant tombe raide mort, le Général,
légèrement blessé parvient à s'échapper. Cependant,
Joseph-Marie, l'aîné des Dumoutier, lutte héroïquement, seul contre dix,
dans le corridor puis dans la cour où il a entraîné les soldats à sa suite.
Mais accablé sous le nombre, couvert de blessures, il finit par succomber. "Pendant
tout ce vacarme", écrit Monsieur Orain, qui s'en tient durant toutes ces
périodes troublées à son rôle de prêtre, sans se mêler jamais à aucune
expédition politique, "pendant tout ce vacarme, j'étais à l'église à
confesser. Entendant du bruit, je sortis sur le chemin des Bossettes pour aller
écouter. Quelqu'un montait le chemin qui cria "Qui vive ?" Je lui
répondis "Amis". C'était le Général de Sol qui m'apprit l'arrivée
des "Bleus" au Dréneuc, puis s'en fut à la Préverie chez le
Chirurgien qui lui banda sa plaie". Bientôt
des bruits de pas résonnèrent sur la route de Blain. Les "Bleus"
regagnaient leur cantonnement. Quand le silence fut retombé sur la campagne,
Monsieur Orain retourna à l'église pour y continuer ses confessions. 1797.
Le coup d'État du 18 fructidor entraîne la reprise des persécutions contre
l'église. Certains "Bleus" acceptent mal ces expéditions de
représailles contre Grégoire Orain qui ne fait de mal à personne et se
contente d'exercer sa mission de prêtre. N'a-t-il pas porté les derniers
sacrements, au risque de sa vie à l'épouse du brigadier républicain de Redon
? C'est
ainsi qu'un soir où Grégoire Orain avait réuni à dîner six de ses
confrères chez la veuve Motreuil, à Balac, un détachement de
"Bleus" se présente à quelques pas de la maison. Les prêtres
s'enfuirent du côté opposé. La mère Motreuil enlève précipitamment le
couvert tandis que son gendre Méréal Dupé s'avance vers les soldats, sa
tabatière à la main: "Où vas-tu ? " lui dit le commandant d'un ton
de colère. "Je vais mettre hors de mon pré, les pourciaux qui
l'abîment" répond l'homme froidement. L'officier prend alors Méréal à
part : "Je sais ce qui se passe dans
cette maison, une femme qui n'est pas d'ici, vous trahis pour dix écus, mais je
ne vous ferai aucun mal..." Puis sur un ton de commandement : "Tu es
mon prisonnier, suis moi..." Méréal obéit sous les regards consternés
des siens qui pensent qu'on va le fusiller. En
fait, on le mène à l'auberge : on boit, on trinque, on se sépare et pendant
ce temps, Monsieur Orain et ses confrères ont eu le temps de prendre le large. Ces
alertes perpétuelles obligent Monsieur Orain à célébrer dans les
différentes chapelles de la paroisse. Elles sont bientôt toutes repérées et
les "Bleus" tentent même de mettre le feu à la Chapelle Saint Armel.
L'abbé décide alors de réunir par sécurité les enfants du catéchisme au
village de Villeberte, de la frairie de Trouhel, dans une grange, qui peut à
l'occasion, servir de chapelle. Mais ses paroissiens ne s'en contentent pas.
"Nous voulons une vraie chapelle, Monsieur l'abbé. Nous sommes prêts à
vous aider... Ainsi
fut fait : la famille Biguet fait don du terrain, la pierre est tirée au cours
de l'hiver d'une carrière ouverte près de la Camelais, les travailleurs
affluent, même des villages les plus éloignés. "Voulez-vous que nous
n'ayons pas le droit comme les autres de venir prier dans cette chapelle ?
" Pour éviter l'encombrement l'abbé Orain assigne à chaque village son
jour de travail. La besogne avance rapidement et dès l'été 1798, les murs
sont édifiés. Les paroissiens offrent de la paille, mais, quand la charpente
placée, les couvreurs se présentent, ils ne trouvent que quelques paquets de
bours à peine de quoi occuper la journée, ils vont s'en retourner... C'est
le jour du catéchisme, l'abbé se confie aux enfants "Parlez en donc à
vos parents". Le lendemain et les jours suivants il en vient tant et tant
que l'abbé se voit obligé de ralentir leur zèle. "Si la paille est
inutile pour la chapelle, elle vous servira à vous". La Chapelle est
bénite le 2 octobre 1798, jour de la fête des Saints Anges Gardiens à qui
elle est dédiée. "Depuis
lors", rapporte Monsieur Orain, "j'y dis la messe presque tous les
jours, j'y fais le catéchisme et je me retire dans ce village. Comme elle est
couverte de paille, elle n'a pas l'aspect une chapelle et les "Bleus"
n'y sont jamais venus. 1801.
Le Concordat rétablit en France la paix religieuse voulue par Napoléon
Bonaparte. Voici donc l'abbé Orain libre d'exercer publiquement son ministère
à Fégréac sans la menace quotidienne d'être inquiété, poursuivi arrêté. Voici
également le retour de l'abbé Renaud rétabli dans ses fonctions de Recteur de
Fégréac. Ce fut une grande joie pour les deux prêtres de se retrouver et
c'est sans amertume et en toute humilité que Grégoire Orain redevint le
vicaire sacriste qu'il était auparavant. Mais bientôt, il fut nommé par ses
supérieurs Recteur de Derval. Le
danger avait tissé entre l'abbé et ses compatriotes, des liens de respect et
d'affection réciproques. Nul ne sut jamais quelle fut la douleur de l'abbé
Orain de devoir quitter son village, ses amis, sa famille, ses paroissiens. Il
avait fait vœu d'obéissance et dans l'église de Fégréac, il vient une
dernière fois offrir ce sacrifice à Dieu avant de prendre la route de Derval. Pas
de Cloche pour accompagner les premiers pas de l'abbé Orain vers sa nouvelle
paroisse. Seulement le bruit de la vie quotidienne à Fégréac... Pas de
cloche, mais au fond du cœur, une autre musique, le psaume que le prophète
semble avoir composé pour lui et qui sera sa prière tout au long de la
route... "J'incline
mon cœur à faire ta volonté |
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